La Légende du Nez de Bowerman
On trouve de nombreux affleurements de granit sur Dartmoor ; certains sont massifs et inspirent l’effroi, comme Vixen Tor. Mais aucun n’est aussi étrange que la haute colonne de rocs connue sous le nom de Bowerman’s Nose. Voici l’histoire qu’on raconte depuis longtemps sur Dartmoor pour expliquer comment cet empilement de rochers rappelant une silhouette humaine a bien pu arriver là.
Il y a bien longtemps vivait dans l’est de Dartmoor un homme nommé Bowerman le Chasseur. Bowerman était grand et costaud. Il possédait une meute de chiens de chasse imposante et son plus grand plaisir était de chasser sur les landes qu’il connaissait si bien.
Bowerman ne se contentait pas d’être un chasseur passionné. C’était un homme bon et jovial, généreux envers les pauvres de Dartmoor. Il était aimé et apprécié de tous ceux qui le connaissaient – enfin, presque tous.
A cette époque il y avait sur Dartmoor de nombreuses sorcières qui tenaient leur sabbat dans les endroits retirés de la lande et terrorisaient tous les habitants de Dartmoor. Tous sauf Bowerman, qui n’avait peur de personne, « pas même du Diable » avait-il coutume de dire – mais les gens du coin trouvaient que dire cela, c’était déjà tenter le sort et le Diable
Les sorcières détestaient Bowerman, en partie parce qu’il n’avait pas peur d’elles, mais surtout parce qu’il encourageait les autres à ne pas en avoir peur. En fait, c’était même Bowerman qui leur faisait un peu peur, à cause de sa force et de la meute sauvage qui l’accompagnait partout.
Par une sombre soirée d’automne, Bowerman était à la chasse avec sa meute, à la poursuite d’un lièvre. Au moment où ils allaient l’attraper, le lièvre obliqua dans une vallée étroite, suivi de près par les chiens et par Bowerman.
Or cette vallée était le lieu du sabbat des sorcières, et elles étaient en plein milieu de leurs rituels bizarres quand soudain le lièvre, la meute et Bowerman déboulèrent parmi elles. Le lièvre fila comme une flèche, les chiens aboyèrent, Bowerman fit retentir un rire tonitruant en poursuivant la chasse, et ils laissèrent derrière eux les sorcières qui hurlaient de rage.
Les sorcières étaient, de fait, dans une colère noire, et après s’être calmées, elles complotèrent leur vengeance. L’une d’elles, nommée Levera, avait le pouvoir de se changer en lièvre.
Ainsi fit-elle, se plaçant là où Bowerman et sa meute avaient des chances de la trouver, tandis que le restant de la méchante assemblée préparait une embuscade.
Bowerman et sa meute, ayant perdu la trace de leur gibier dans la vallée des sorcières, faisaient demi-tour quand ils tombèrent sur Levera changée en lièvre. La meute donna de la voix et partit à sa poursuite, suivie par Bowerman ravi. Levera les mena dans une poursuite comme ils n’en avaient jamais connue auparavant ; pendant des heures, sur les terres rudes et par les tourbières de la lande, par monts et par vaux, franchissant les cours d’eau et suivant les vallées, la chasse se poursuivit, parfois à quelques mètres du gibier et parfois le perdant presque de vue.Enfin, alors que Bowerman et sa meute étaient au bord de l’épuisement, le piège se mit en marche. Levera ralentit l’allure, faisant mine de se laisser prendre, puis elle tourna brusquement sur le côté du tor où se cachaient les sorcières, suivie par Bowerman et ses chiens. Le chasseur épuisé se trouva soudain entouré d’une troupe de sorcières hurlantes qui unirent leurs forces pour jeter un sort puissant à Bowerman et sa meute, qu’elles transformèrent en pierres. A cet endroit, on voit encore la silhouette de pierre de Bowerman, sa meute autour de lui comme en ce jour fatal. Et quelquefois, par les nuits de brouillard ou les nuits sans lune, il arrive qu’on entende Bowerman et sa meute à la poursuite du gibier.
Mais l’histoire ne se termine pas là. Les gens de Dartmoor furent si en colère quand ils apprirent le sort de leur ami qu’ils en oublièrent leur peur des sorcières et décidèrent d’en débarrasser le Devon à tout jamais. Les sorcières, réalisant dans quel nid de frelons elles s’étaient fourrées, enfourchèrent leurs balais et le vent les emporta au-dessus du canal de Bristol jusqu’au Pays de Galles.
C’est pourquoi jusqu’à aujourd’hui les femmes galloises portent des bonnets pointus de sorcières et pourquoi il n’y a plus jamais eu de sorcières dans le Devon.